De l'origine d'une amitié.

  • Dercors n'était pas un apprenti magicien modèle, bien loin de là ; au grand désarroi de ces professeurs, il passait la plupart de son temps libre à parcourir les vertes prairies qui colorent les alentours de la cité de Padhiver. Il était vagabond dans l'âme, et préférait arpenter les nombreux sentiers de la région d'Avalon plutôt que d'apprendre mot à mot les rudiments d'un art qui s'effacera avec le temps. D'ailleurs, il ne rechignait pas à gagner quelques piécettes auprès des agences touristiques en tant que guide, et d'aucuns reconnaissaient que son expérience le plaçait parmi les meilleurs et les plus appréciés de la région.


    Même Arnie l'armateur, qui s'attelait à la confection des cartes de la région en traversant les moindres recoins de la contrée, était parfois bluffé par les aptitudes du garçon. Un jour qu'il se trouvait aux abords des marécages à l'extrême sud de la cité, il croisa le garçon assis sur une pierre, le visage impassible tourné vers les étoiles naissantes ; de prime abord, Arnie prit pour de la détresse ce qui était en réalité de la béatitude. Car Dercors aimait contempler ces lueurs tombant sur le monde ; elle lui évoquait l'image de sa mère, qui avait coutume de dire qu'elles éclairaient aussi bien la demeure des mendiants que celles des Dieux. Et qu'au fond, les différences qui les opposent s'estompent dès qu'on en comprend la portée.
    Sans se douter des intentions de l'armateur, Dercors l'invita à se "perdre dans les étoiles". Encore une expression empruntée au jargon de sa mère. Arnie, décontenancé par l'aplomb de l'adolescent, prit place à ses côtés, et s'apprêtait à lui demander ce qu'il faisait ici tout seul, et s'il nécessitait de l'aide. Mais, au loin, des chants harmonieux se faisaient entendre, probablement un cortège elfique des forêts de l'Ouest, et Arnie se retint de troubler cette ambiance particulière. Il ne pouvait décrire précisément ses impressions ce jour-là, mais il ne parvenait pas non plus à se souvenir de s'être senti aussi bien avant cette nuit.
    Après quelques minutes, que l'armateur aurait estimé à une heure environ, Dercors lui adressa quelques mots sans reposer les yeux sur la réalité :
    "Les elfes des bois réveillonnent afin que commence la 2561ème année de l'âge elfique. Vous plairait-il de rejoindre cet éloge ?"
    - Si je ne m'abuse, ces fêtes ont lieu dans les bois d'Esthyr, à environ 3 lieues de là. Les marais doivent être contournés et il nous faudrait des heures avant de les rejoindre.
    - Votre voix est teintée d'une trop grande certitude. Une heure suffira amplement, si vous daignez me donner votre confiance en me suivant, noble voyageur.


    Arnie ne connaissait pas ni n'a jamais situé le chemin qu'ils empruntèrent ce soir là. Il n'en avait jamais fait mention dans aucune carte, au moins parmi celles qui ont été cédées à la bibliothèque d'Avalon bien des années plus tard. Le plus étrange était qu'il ne revint jamais à Padhiver. Certains villageois dont les chaumières bordaient la région des marais prétendirent l'avoir aperçu au crépuscule, la plupart du temps accompagné. Quelques indices voulaient appuyer leurs récits, mais il n'y avait traces de feu de bois, et les nuits étaient assez fraîches ces temps-ci.
    Simon raconta plus tard à Dalthorest son escarpade dans les Monts Brumeux. Une anecdote fit sourire le maître des Lettres : alors que Simon essayait d'attiser les quelques braises que la bise se plaisait à éteindre, deux étrangers le rejoignirent, et l'un d'entre eux lui conseilla de se perdre dans les étoiles.

    Ketchupiz le Gnôme
    alias athaan Witquester, Paladin Forgeron Capitaine de la milice de Beldargan.
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